comment ?
mise en place : démarrerLe contenu de la page
- liminaires
- une culture math adéquate
- les conditions favorables
- pour l’enfant
- pour l’adulte
- ne vous lâchez jamais des mains…
- des leçons « modifiées »
- des recherches collectives
- la recherche collective guidée
- la recherche collective ouverte
- premières ouvertures
- plus d’individualisation
- des recherches individuelles
- changements de statuts
- vers l’individualisation complète
liminaires
une culture math adéquate
Il s’agit progressivement d’acquérir une « nouvelle » culture math*, celle qui permet de « voir » des mathématiques dans la vie, de reconnaître les concepts sous-jacents, de repérer des événements qui pourraient devenir des points de départ de recherches, de classer les situations suivants leur domaine math.
Créer des outils programmés seul ou en groupe constitue une activité extrêmement favorable pour se familiariser avec cette culture :
– des livrets autocorrectifs qui amènent en plusieurs étapes actives à une notion particulière ex : je fais une symétrie axiale avec un papier calque. La préparation d’une leçon peut très bien se transformer en livret programmé ;
– des fiches guides ;
– des fichiers d’incitation à la recherche : ex : au recto, une situation potentiellement problématique qui interpelle (photo, dessins,..) et au verso des propositions d’action.
– recueillir dans la presse, dans les revues, magazines, des images, des reproductions, prendre des photos à l’extérieur, dans les musées … qui illustrent un concept mathématique et les rassembler par notions mathématiques dans des classeurs qui pourront être très utiles en classe.
Se familiariser avec la notion d’abstraction, savoir la débusquer, prendre conscience de l’importance de la métacognition dans la découverte des concepts par les jeunes chercheurs, intégrer la routine générale** pour être plus serein dans ses interventions auprès des enfants et pouvoir ainsi leur laisser la plus grande liberté possible, tout cela est très favorable à l’assimilation de la technique de la recherche libre mathématique.
* voir partie 3 : comment ?/chapitre 2
** voir partie 3 : comment ?/chapitre 5, routines
les conditions favorables
pour l’enfant
L’enfant a besoin de sécurité psychologique. Il faut progressivement réduire la peur.
Il a besoin de savoir ce qu’on attend de lui. Le démarrage se fait donc collectivement : on fait ensemble, pas à pas, guidé par l’adulte.
Il a besoin d’être valorisé, reconnu.
La liberté de création ne peut éclore dans un sentiment d’insécurité.
pour l’enseignant
L’inconnu n’est guère favorable au confort psychologique d’un individu. Comme pour l’enfant, l’adulte a besoin de balises et de garde-fous pour affronter une situation nouvelle et être efficace.
Il convient donc de se construire une vision claire des objectifs que l’on se fixe à court, moyen et long terme, et d’adopter un plan d’action prudent et très ambitieux à la fois. Les étapes de la mise en place varient suivant la personnalité de chaque enseignant.
L’apparition de conduites autodéterminées chez les enfants n’est possible qu’au prix d’une exigence initiale forte de l’adulte, tant dans leur comportement vis à vis des autres que dans le sérieux apporté à leurs productions, le chuchotement, le calme étant de mise dans la classe.
ne vous lâchez jamais les mains … avant de toucher des pieds*.
Cette métaphore fait allusion au monde de l’alpinisme et à la manière d’affronter les difficultés.
Elle s’applique en pédagogie aussi.
On n’abandonne pas une façon de travailler tant que l’on n’a pas trouvé mieux pour la remplacer.
Il vaut mieux démarrer prudemment, sans faire table rase du passé, mais résolument, en gardant à l’esprit le « pourquoi » du nouveau chemin choisi et son « comment ».
Et chacun à son rythme.
Il est important également de ne pas rester seul, de pouvoir discuter, échanger, partager avec d’autres qui démarrent ou ont déjà démarré, qui sont également en recherche**.
* Célestin Freinet : Les dits de Mathieu
** ICEM : Institut Coopératif de l’École Moderne https://www.icem-pedagogie-freinet.org
Voici quelques propositions qui peut-être seront utiles.
Elles offrent des possibilités de démarrer avec prudence : c’est l’enseignant qui pilote et doit garder la maîtrise des événements, mais non sans ambition : le but à atteindre, la recherche libre individuelle, est présent en filigrane dès le début.
En aucun cas elles ne constituent un cheminement unique vers la recherche libre individuelle, avec un passage obligé par chaque « étape ». Comme pour les enfants, à chacun son rythme.
des leçons « modifiées »
La leçon de math habituelle peut évoluer dans son déroulement et adopter la structure d’une recherche telle qu’elle est synthétisée dans la routine générale :
– le point de départ est choisi par l’enseignant dans un événement, une situation de vie… ;
– sa problématisation amène à un (ou des) défi(s) à relever ;
– l’adulte dégage une piste de travail et donne progressivement ses consignes pour chaque étape : reproduction de l’événement avec les moyens du bord, puis « avec machine » amenée par l’adulte, exploration des données recueillies et découverte des invariances ;
– chacun travaille individuellement ;
– mini présentations rapides des essais intéressants repérés par l’adulte, analyse de ces tentatives et proposition d’une solution par l’enseignant, vers une technique efficace ;
– exercisation ;
– fiche guide à partir d’une ou deux autres situations similaires qui propose un déroulement équivalent.
C’est l’enseignant qui conduit entièrement le processus. En fin de leçon, il attire l’attention sur les étapes suivies. Au fur et à mesure des séances, il insiste sur l’aspect métacognitif du processus adopté.
Très directif au début, l’enseignant peut, suivant l’aisance des élèves, faire évoluer cette leçon avec une plus grande prise en compte des remarques ou découvertes de chacun.
des recherches collectives
Avant se se lancer dans la recherche libre individuelle, pour plus de sérénité et pour réduire l’anxiété des enfants et/ou de l’adulte, il est souhaitable de mettre en place un garde-fou : la recherche collective qui permet d’apprendre collectivement à faire une recherche et de se familiariser avec sa forme.
la recherche collective guidée
Elle porte sur un sujet unique. Tout le monde fait la même chose, en même temps. C’est l’enseignant qui pilote tout au long du processus :
– il propose le point de départ trouvé dans une situation de classe ou de vie ;
– il problématise l’événement et définit le défi à relever, l’objet de la recherche ;
– il anime un brainstorming collectif rapide sur les propositions de résolution ;
– il y fait un choix ou propose sa piste et donne progressivement ses consignes pour chaque étape : reproduction de l’événement avec les moyens du bord, puis « avec machine » amenée par l’adulte, exploration des données recueillies et découverte des invariances ;
– chacun travaille individuellement ou par petit groupe en suivant la consigne donnée ;
– l’adulte gère les fréquents aller-retour entre les individus/groupes et le collectif classe à chaque étape. Il sélectionne les essais intéressants pour des mini-présentations rapides qu’il analyse. Il dégage l’axe de travail de la phase suivante du processus.
Chaque enfant travaille sur un cahier personnel de recherche ou sur des feuilles A4 qui seront ensuite agrafées avec une page de couverture contenant le titre de la recherche, la date, la situation de départ et son objet.
Tout au cours de la recherche collective, l’enseignant insiste sur l’aspect métacognitif du processus adopté en attirant l’attention sur les étapes suivies.
Le document produit final est le même pour tout le monde et est rédigé collectivement.
Il peut être continué par une fiche d’évaluation.
la recherche collective ouverte
premières ouvertures
La recherche collective guidée peut évoluer progressivement vers une recherche plus ouverte.
Comme précédemment, ce type de recherche s’effectue pas à pas, sous la direction de l’enseignant qui pilote le processus. Mais elle permet une marge de manœuvre plus grande pour ceux qui semblent les plus hardis, entreprenants. Lors des moments individuels, ils peuvent chercher non plus à partir de la consigne commune mais de leurs propres remarques, et faire leurs propres propositions.
Les plus timides poursuivent sur les indications de l’adulte, le temps qu’il faudra.
Les mini présentations des plus actifs occasionnent des échanges entre le ou les présentateur(s) et la classe. Le brainstorming collectif rapide sur les propositions de résolution peut orienter la suite de leurs recherches dans les phases suivantes. Le début de liberté et d’autonomie qui se dessine pour certains motivera peu à peu les plus indécis.
Le document final rédigé collectivement peut incorporer certaines tentatives réussies et validées à la suite des présentations.
plus d’individualisation
Peu à peu, de plus en plus d’enfants qui intègrent le déroulement du processus prennent confiance. Le chemin est en partie balisé et le risque encouru ne semble plus si élevé. L’exemple des premiers qui ont osé s’impliquer ne fait que les encourager à franchir le pas. Le sentiment de sécurité (on a le droit d’inventer, d’essayer, de reprendre la bonne idée d’un autre, on peut se tromper sans subir de moqueries,…) aide à faire le saut. Cependant, cette liberté acceptée n’est pas sans contraintes, celles qui rendent possible le travail véritable autonome : le sérieux, la concentration, une production soignée, le silence, le chuchotement. Les indécis eux peuvent continuer, sans être jugés, de chercher à partir des consignes de l’adulte.
recherches individuelles
changements de statuts
C’est l’étape suivante, celle qui voit l’adulte prescripteur changer de statut et se muer en accompagnateur facilitateur pour chaque chercheur.
L’enfant acteur devient auteur. Il est à l’origine de la recherche entreprise, du choix de son objet. Il est maitre du processus de résolution à adopter.
Il n’est pas totalement dans l’inconnu et peut s’appuyer sur l’expérience acquise lors des recherches collectives ou faire appel à l’aide de l’adulte.
Il assume la responsabilité de la liberté du chercheur : sérieux, application, échanges et partage avec le groupe, production.
vers l’individualisation complète
Le dispositif de recherche* et son organisation matérielle** doivent être opérationnels pour que les deux phases individuelle et collective soient possibles.
Chaque enfant poursuit plusieurs recherches individuelles et a la possibilité de les gérer dans le temps.
Certaines recherches***qui nécessitent la production et l’exploration de nombreuses données (découverte d’une technique opératoire pour les fonctions numériques, représentations par diagrammes de relations non numériques,…) sont plutôt traitées collectivement.
Les recherches individuelles peuvent coexister dans la classe au même moment avec une recherche collective en cours pour un groupe.
Pour les effectifs chargés, il est possible de scinder la classe en deux avec chaque partie qui alternativement est en recherche libre ou en travail individuel programmé.
* voir précédemment dans cette partie 3, chapître 5 : dispositif
** idem pour organisation matérielle
*** voir dans partie 4, domaines math
un exemple de démarrage dans une école entière
Cette démarche a été mise en place dans une école complète de ville, l’école R. Salengro de Courcelles-les-Lens (62), entre 1985 et 1998 par D. et M. Thorel. Elle concernait tous les domaines de l’école, dont les mathématiques et passait par l’acquisition d’une autonomie complète dans l’utilisation d’outils programmés.
« Les questions auxquelles le projet devait répondre étaient les suivantes : Comment faire travailler les élèves à leur rythme ? Comment les motiver ? Comment obtenir de meilleurs résultats scolaires ? Comment intégrer les parents à la vie de l’école ?« *
L’ambition était de remplacer le schéma classique « leçons/exercices/contrôles » par une pédagogie plus orientée sur l’expression libre (écrite, artistique), la communication (correspondance et journal scolaires), les enquêtes en étude du milieu et la recherche en mathématique.
Il s’agissait d’installer l’individualisation progressive du travail par l’utilisation d’outils programmés en français et mathématique*qui ne pouvait être opérationnelle que si un certain degré d’autonomie dans le travail était atteint par les enfants.
« On a d’abord défini une première étape, pour la période 1989-1994. Il y était d’abord prévu de consigner les événements ayant retenu l’attention dans un « almanach », en vue de fournir des points de départ pour les leçons. Ces événements étaient le plus souvent issus des entretiens du matin, moments institutionnalisés d’expression orale libre. Ont été introduits également l’expression écrite libre, le texte libre, et l’étude de la langue à partir des textes libres. A cette étape, on met aussi en place la coopérative de classe : le travail individualisé est l’occasion d’élaborer les premières règles de vie de la classe. Le respect de ces règles donne droit à l’autonomie (gestion du plan de travail, libre circulation). Sont ainsi créés des contrats de travail et des responsabilités au sein de la classe. La deuxième étape intervient de 1994 à 1997 ; elle inclut la mise en œuvre de démarches en étude du milieu, la correspondance scolaire, et des stages d’enfants. Ces « mises en stage » des enfants ont permis d’introduire de nouvelles activités pendant une douzaine d’heures sur une semaine. A la fin du stage, les enfants deviennent autonomes dans cette activité (théâtre, danse, musique, étude du milieu, etc.). Enfin, dans la troisième étape, de 1997 à 2000, on a pu développer les démarches de mathématiques, d’expression artistique, d’EPS, et mettre en place la coopérative de l’école c’est-à-dire un conseil de coopérative pour établir des règles de vie et des responsabilités au niveau de l’école tout entière. Ces trois étapes représentaient un contrat minimum pour les enseignants mais elles pouvaient être brûlées par ceux qui se sentaient suffisamment à l’aise. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit pour tous les enseignants… »**
La mutation mathématique est donc apparue à la troisième étape.
* Ces outils ont été créés par l’équipe enseignante qui a demandé et obtenu un stage d’école.
** Nouveaux développements de la pédagogie Freinet (titre provisoire) à paraître (Jacquet-Francillon F., Marciniak M., Thorel D. et Thorel M.)